Décés de Michel Gaudin (02/12/1931 -- 04/08/2023)  
Michel Gaudin, physicien mathématicien, ingénieur de l’École Polytechnique (Promotion 1951) et Ingénieur des Ponts et Chaussées, est décédé le 4 août 2023 à l'age de quatre vingt douze ans. Il était entré au CEA en 1956 dans le Service de Neutronique Expérimentale, puis au Service de Physique Théorique (devenu Institut de Physique Théorique) et y a fait toute sa carrière à l'exception d'une année à Stony Brook en 1970

 

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Son premier travail remarqué fut une démonstration élégante du théorème de Wick en température finie en 1960. Cela fut suivi par des travaux pionniers dans la théorie des matrices aléatoires. Avec Madan Lal Mehta, il obtint l'expression analytique de la densité des valeurs propres d'une matrice aléatoire qui conduisit à la première dérivation de la loi du demi-cercle. Dans ce travail, ils introduisirent les polynômes orthogonaux ainsi que la méthode d'intégration sur les variables alternées permettant de traiter le cas des matrices orthogonales. Ensuite, il obtint la loi de l'espacement des niveaux en très bon accord avec l'hypothèse de Wigner. Ce travail introduisit des outils cruciaux dans les développements du domaine des matrices aléatoires toujours largement utilisés, en particulier le noyau sinus et les fonctions sphéroïdales permettant de diagonaliser l'équation de Fredholm associée. Il eut des retentissements jusque dans la théorie des nombres et l'étude des zéros de la fonction zeta de Riemann.

Dans le milieu des années soixante, inspiré par un travail de Edouard Brézin et Jean Zinn-Justin, il s'intéressa au problème des fermions de spin 1/2 en interaction delta généralisant les bosons considérés par Lieb et Liniger. Pour le résoudre il introduisit l'Ansatz de Bethe emboîté qui se révéla un outil fondamental dans l'étude des systèmes intégrables. Sa thèse, publiée dans le recueil de ses travaux, "Modèles exactement résolus" (1995), explicite sa démarche et contient en filigrane l'expression de la norme des états de Bethe, la solution de son célèbre modèle et sans doute d'autres perles. Pendant son séjour à l'Institut de Physique Théorique de Stony Brook en 1970 à l'invitation de C.N. Yang, il fit des contributions importantes à l'étude d'un gaz de bosons en une dimension en interaction delta. En particulier, l'étude des propriétés d'orthogonalité des fonctions d'onde de diffusion le conduisit à introduire un déterminant redécouvert ensuite comme la fonction de partition d'Izergin et Korepin. En utilisant les groupes de Coxeter, il construisit une fonction d'onde généralisant celle de Bethe au cas des bords ouverts. Dans un autre travail, s'inspirant de la méthode de C.N. Yang et C.P. Yang pour la thermodynamique du système de bosons, il obtint, simultanément avec Takahashi, la thermodynamique de la chaîne de Heisenberg.

Il a ensuite défini une famille de Hamiltoniens quadratiques bien connue sous le nom de "Modèle de Gaudin". Ce modèle est devenu un classique dans la théorie des atomes froids et de la supraconductivité. Sa solution fait intervenir une première version simple de l'Ansatz de Bethe Algébrique. Il a aussi été une source d'inspiration pour des mathématiciens travaillant sur programme de Langlands.

Dans les années soixante-dix, il s'est intéressé au problème de la résolution exacte de systèmes non intégrables. En particulier, en 1975 il a proposé avec Bernard Derrida, alors son étudiant, une solution au problème de trois corps en interaction delta avec des couplages différents.

Son livre "la fonction d'onde de Bethe", écrit en 1981, fait toujours référence dans le domaine. Il a été traduit en russe en 1983 par P. Kulish and E.K. Sklyanin et  en anglais en 2013, par Jean-Sébastien Caux.

Michel Gaudin a eu aussi plusieurs collaborations fructueuses avec d'autres physiciens de l'IPhT. Citons en particulier : le travail avec Ivan Kostov sur la solution du modèle O(n) en gravité quantique ; le travail avec Claude Itzykson, Philippe Di Francesco et Frédéric Lesage sur les fonctions d'onde de l'effet Hall Quantique ; le travail avec Denis Bernard, Duncan Haldane et Vincent Pasquier sur la solution de la chaîne de Haldane et Shastry ; le travail avec Jacques Bros, Henri Epstein et Ugo Moschella sur l'instabilité d'origine géométrique des particules dans l'espace de De Sitter.

Michel Gaudin était une personnalité originale et féconde. Il était principalement guidé par la recherche d'élégance et se souciait peu de reconnaissance (Il fut cependant récompensé sur le tard par le prestigieux prix Dannie Heinemann de physique mathématique). Il publiait en français et attachait un soin particulier au style de ses écrits. Il était épris de culture classique, particulièrement de littérature et de philosophie (Nous le revoyons lisant les "Mémoires d'outre-tombe" en recherchant sur une carte les étapes de Chateaubriand. Il aimait bien au détour de la conversation se rappeler d'un vers de Racine ou de La Fontaine). C'était aussi un homme animé d'une très grande foi. Il se considérait comme un artisan et il était convaincu que la main est le support de la pensée. Cela se traduisait par des textes scientifiques un peu littéraires couchés d'une belle écriture, parfois accompagnés de dessins sur papier millimétré.

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Pour donner une idée de sa minutie, nous joignons un dessin représentant des trajectoires géodésiques dans un espace courbe fait peu de temps avant son décès. 

Un maître et un ami nous a quittés.

 

E. De-laborderie, dépêche du 23/08/2023

 

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