La supraconductivité est une phase de la matière caractérisée par l’absence de résistance électrique et l’expulsion du champ magnétique externe du volume du matériau. Ce phénomène est dû à la cohérence quantique macroscopique des paires de Cooper, qui sont des états liés de deux électrons. Un autre état de la matière aux propriétés remarquables est celui des matériaux topologiques, qui hébergent des quasiparticules (excitations collective qui se propagent dans un système de nombreuses particules en se comportant comme une particule indépendante) dans des états localisés sur les bords, surfaces ou impuretés du matériau. Ces états sont robustes car protégés par des invariants topologiques. Les supraconducteurs topologiques sont une classe de matériaux quantiques qui combinent ces deux propriétés. Contrairement aux supraconducteurs conventionnels, on prévoit qu’ils abritent des quasiparticules exotiques telles que les modes de Majorana, des excitations d’énergie zéro particulièrement prometteuses pour l’informatique quantique, en raison de leurs statistiques non abéliennes (ni bosoniques ni fermioniques) et de leur protection topologique. Bien qu’aucun matériau n’ait été définitivement prouvé comme présentant une supraconductivité topologique intrinsèque, le composé à base d’uranium UTe$_2$, découvert en 2018 pour héberger un état supraconducteur exotique en dessous de 1,6 K, est l’un des candidats les plus prometteurs pour la réalisation physique de cette propriété.
La microscopie à effet tunnel (STM) est une technique expérimentale puissante qui permet d’étudier la nature topologique de l’état supraconducteur dans l’UTe$_2$. Elle offre une résolution spatiale à l’échelle atomique (10^-10 m) et permet d’accéder directement à la structure électronique locale à la surface de n’importe quel matériau. La STM étant intrinsèquement sensible à la surface, elle est particulièrement bien adaptée à la détection des états topologiques localisés à la surface. En pratique, la STM peut révéler des informations sur l’état supraconducteur en analysant les schémas d’interférence générés par les quasiparticules diffusées par les impuretés de surface. Dans ce contexte, le désordre, généralement considéré comme un inconvénient, devient un outil de diagnostic puissant, qui permet de comprendre la nature des quasiparticules et l’état supraconducteur sous-jacent.

Le groupe de J.C. Séamus Davis de l’Université d’Oxford a récemment effectué des mesures STM de haute précision sur la surface clivée de l’UTe$_2$ à des températures ultra-basses ($T = 300$ mK). Les résultats expérimentaux sur les figures d’interférence électronique ont été confrontés aux simulations numériques réalisées par une équipe de recherche de l’Institut de Physique Théorique du CEA Saclay (IPhT), dirigée par Cristina Bena et Catherine Pépin, en collaboration avec l’Université d’Aix-Marseille. Ensemble, les observations expérimentales et l’analyse théorique ont fourni des preuves solides de l’existence d’un état topologique supraconducteur dans l’UTe$_2$. Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles recherches expérimentales et théoriques visant à une compréhension plus complète des conditions microscopiques requises pour atteindre un état topologique supraconducteur.