Tourbillons dans les halos de matière noire ultralégère

Tourbillons dans les halos de matière noire ultralégère

La nature de la matière noire reste l’un des plus grands mystères de la cosmologie. Dans le cadre général standard de la matière noire froide non-collisionelle (« Cold Dark Matter », CDM), divers modèles sont envisagés : « WIMPs » (« Weakly Interacting Massive Particles », particules à faible interaction, de masse d’ordre 100 GeV/c^2), trous noirs primordiaux, particules ultralégères de type « axions » (masse de 10^-22 à 1 eV/c^2). Dans ce dernier cas, la matière noire se comporte comme une onde, décrite par une équation de Schrödinger, plutôt que comme une collection de particules ponctuelles. Ceci engendre des comportements spécifiques aux petites échelles, tout en suivant la dynamique standard (CDM) aux grandes échelles.

Légende : section équatoriale du système:
[1]. À gauche : densité de la matière noire (le réseau de vortex correspond au réseau de points blancs sous-denses dans le cœur). Au centre : phase de la fonction d’onde sous-jacente, avec structure en étoile dans le cœur associé au réseau de vortex. À droite : mouvement circulaire des vortex dans le cœur.

Philippe Brax et Patrick Valageas, chercheurs à l’Institut de Physique Théorique, ont étudié [1,2] des modèles de matière noire froide ultralégère avec des auto-interactions répulsives, dont la dynamique est décrite par une variante non-linéaire de l’équation de Schrödinger dite équation de Gross-Pitaevskii, aussi rencontrée en physique des superfluides et des condensats de Bose-Einstein. Dans leurs travaux les auteurs suivent la formation et la dynamique de structures particulières, appelées « vortex » (tourbillons) et « solitons » (cœurs en équilibre hydrostatique), au sein de halos de matière noire ultralégère en rotation.

Comme pour un superfluide étudié en laboratoire, dans ces modèles les cœurs de matière noire sont décrits par les équations d’un fluide « irrotationnel ». Le système ne peut alors soutenir une rotation d’ensemble que par l’apparition de singularités, c’est-à-dire de « vortex » (tourbillons). Combinant des approches analytiques et numériques, les auteurs montrent que des halos de matière noire en rotation donnent en effet naissance à de tels tourbillons, qui s’organisent de plus en un réseau stable en rotation dans le cœur du halo (voir la figure). Ces tourbillons ont un moment angulaire quantifié qui dépend de la masse de la particule de matière noire. À cause de la force centrifuge, le « soliton » (cœur de matière noire) acquiert une forme aplatie axisymétrique.

Si ces tourbillons existent réellement, ils pourraient offrir une nouvelle façon de détecter la matière noire ultralégère, par exemple en analysant les signatures gravitationnelles qu’ils laissent dans les galaxies. Il serait aussi intéressant d’étudier le lien possible entre ces « lignes de vortex » et les filaments de la toile cosmique. Ainsi, des tourbillons analogues à ceux observés en laboratoire en physique des superfluides quantiques pourraient exister dans les halos de matière noire aux échelles astrophysiques ou galactiques !

[1] Ph. Brax, P. Valageas, Phys.Rev. D 111, 103538 (2025) https://arxiv.org/abs/2502.12100

[2] Ph. Brax, P. Valageas, Phys.Rev. D 111, 103527 (2025) https://arxiv.org/abs/2501.02297

Une présentation grand public de [1],[2] : A. Feldman (Live Science) « A ‘bundle of microscopic tornadoes’ may have given the universe its structure ». https://www.livescience.com/physics-mathematics/particle-physics/a-bundle-of-microscopic-tornadoes-may-have-given-the-universe-its-structure