Observation de gouttelettes femtoscopiques au collisionneur LHC

Observation de gouttelettes femtoscopiques au collisionneur LHC

Les collaborations ATLAS et ALICE du LHC viennent de présenter des résultats sur l’observation du comportement collectif en fluide des quarks et gluons dans les collisions de ions lourds, obtenus en suivant une nouvelle méthode d’observation suggérée par des théoriciens de l’Institut de Physique Théorique.

Le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC, en anglais) du CERN réalise des collisions entre des noyaux d’atomes de plomb, accélérés en sens inverse à des vitesses proches de celle de la lumière. Dans une telle collision, les quarks et les gluons qui composent ces noyaux s’entrechoquent, et créent d’autres quarks et gluons, produits par l’interaction fondamentale dite « interaction forte ». Le nombre de particules créées est environ cent fois supérieur au nombre initial.

Du fait que les particules créées sont nombreuses et interagissent fortement les unes avec les autres, des phénomènes émergents apparaissent : le tout ne se réduit pas à la somme des parties. Plus précisément, les quelque trente mille particules créées forment un fluide (une gouttelette de taille femtoscopique — 10^-14 m), où leur individualité disparaît. Cette description a l’avantage de la simplicité, car le fluide est caractérisé par une poignée de paramètres : température (environ 2500 milliards de degrés) et vitesse.

Les théoriciens de l’Institut de Physique Théorique ont suggéré en 2024 une nouvelle méthode d’observation de ce comportement dit « collectif » [1]. Leur méthode vient d’être mise en œuvre par deux des quatre grandes collaborations expérimentales du LHC, ATLAS [2] et ALICE [3], dont les résultats ont été présentés à la grande conférence internationale « Quark Matter 2025 », qui a réuni près de mille scientifiques à Francfort début avril.

Le principe de la méthode est d’exploiter les petites variations de température, de l’ordre du pour cent, d’une collision à l’autre. La température n’est pas exactement la même dans toutes les collisions, mais elle est homogène dans chaque collision. Ceci implique que les particules émises à des angles différents par rapport à la direction du faisceau proviennent d’un fluide à la même température. Autrement dit, les températures mesurées dans des directions différentes sont corrélées. La collaboration ATLAS, dont le détecteur possède une excellente couverture angulaire, a vérifié que cette corrélation était indépendante de l’angle relatif entre les particules émises [2], confirmant l’hypothèse d’une température homogène.


Figure 1 : Variation relative, notée v0(p_T) [4], du spectre des particules émises résultant d’une variation de température, mesurée par ATLAS (A) et ALICE (B). p_T désigne la quantité de mouvement projetée perpendiculairement à l’axe du faisceau. ALICE peut identifier les trois types de particules les plus courants, pions, kaons, protons, et effectue la mesure pour chacun des trois types. ATLAS n’identifie pas les particules, et effectue une mesure moyennée sur les différents types. Les symboles correspondent aux résultats expérimentaux et les lignes aux prédictions des modèles hydrodynamiques. Dans le cas d’ALICE, on présente aussi, dans des couleurs plus pâles, les prédictions de modèles de physique des particules traditionnels, qui ne prennent pas en compte la formation d’un fluide, et qui sont falsifiés par la mesure.

Les expériences ont par ailleurs mesuré la variation du « spectre » des particules émises (la loi de probabilité de la quantité de mouvement) résultant d’une petite augmentation de température. Un fluide plus chaud produit moins de particules lentes et plus de particules rapides (figure 1). Les résultats sont en accord quantitatif avec les prédictions hydrodynamiques [1] sauf pour les particules très rapides, qui ne représentent qu’une fraction infime de l’ensemble, et dont on pense qu’elles sont émises dans les tout premiers instants de la collision, avant la formation du fluide.

[1] Tribhuban Parida, Rupam Samanta, Jean-Yves Ollitrault, « Probing collectivity in heavy-ion collisions with fluctuations of the pT spectrum »,  Phys.Lett.B 857 (2024) 138985. https://arxiv.org/abs/2407.17313
[2] ATLAS Collaboration, « Evidence for the collective nature of radial flow in Pb+Pb collisions with the ATLAS detector ». https://arxiv.org/abs/2503.24125
[3] ALICE Collaboration, « Long-range transverse momentum correlations and radial flow in Pb−Pb collisions at the LHC ». https://arxiv.org/abs/2504.04796
[4] Björn Schenke, Chun Shen, Derek Teaney. « Transverse momentum fluctuations and their correlation with elliptic flow in nuclear collision ». Phys.Rev.C 102 (2020) 3, 034905. https://arxiv.org/abs/2004.00690